Sentir quand les assauts virils tournent à la routine. Basculer en douceur vers plus de sensualité. Faire l'amour sans bouger, ou presque… Quand la femme ouvre le bal, ça peut durer toute la nuit. Donc toute la vie.
Quand ils se sont rencontrés, Marc et Sylvie faisaient l'amour plusieurs fois par semaine, avec fougue et passion. Cinq ans et deux enfants plus tard, leurs rapports se sont raréfiés et Sylvie éprouve de plus en plus de difficultés à ressentir du désir. Routine ? Fatigue ? Prééminence du rôle parental sur celui d'amant et de maîtresse ? Et si le problème provenait du fait que le couple se cantonne dans une sexualité où prédomine l'action, et plus précisément l'excitation génitale ?
Une course-poursuite après l'orgasme se fait au détriment d'une sensualité plus tendre et plus créative. Un mode de vie sexuelle couramment partagé - ne dit-on pas "faire l'amour" pour évoquer la seule pénétration, le reste étant sommairement qualifié de "préliminaires" ? Il est vrai que l'homme, traditionnellement, mène la danse. Or, ce dernier est génétiquement programmé pour jouir facilement et rapidement : ses orgasmes, accompagnés d'une éjaculation, sont en effet nécessaires à la procréation. Au début, bien sûr, cette sexualité "pénétrante" est source de plaisir pour les deux partenaires. Mais une fois la lune de miel passée, quand le désir et l'excitation s'essoufflent, elle se révèle insuffisante… surtout pour la femme. "Ce n'est pas que je n'aie plus envie de faire l'amour, confirme Sylvie, mais je n'ai plus envie de le faire de cette façon."
L'homme a besoin de la femme pour accéder à une autre dimension.
Que faire ?
Attendre patiemment que la flamme se rallume un jour ?
Le couple peut plutôt essayer de passer à une nouvelle étape, une autre sexualité où, cette fois, c'est la femme qui prend les rênes. Elle est en effet la plus demandeuse puisque, désormais, le coït ne lui apporte qu'une satisfaction limitée. "Son vagin étant peu innervé, les stimulations mécaniques n'aboutissent pas automatiquement à un orgasme", explique le sexologue Xavier Boquet.
Plus créative, elle est aussi la plus apte à guider son partenaire vers une sexualité différente. "Ses orgasmes étant biologiquement facultatifs - parce que non nécessaires à la procréation -, la femme a besoin d'effectuer un travail autour de l'imaginaire et du fantasme", rappelle Jacques Waynberg, sexologue, auteur de "La Sexualité" (Ed. Milan, 1996).
Traditionnellement, c'est l'homme qui mène la danse. La femme peut donc proposer de nouvelles manières de faire, autrement dit devenir une "initiatrice". Mais voilà, la plupart des femmes n'osent pas agir. Elles se plaignent, clament leur insatisfaction ou rejettent la faute sur leur partenaire, mais se refusent à prendre les choses en main. Pourquoi ? D'abord par conformisme : le désir s'use, c'est normal, il faut faire avec, pensent-elles. Mais aussi par peur de heurter la sensibilité, souvent vive en ce domaine, de leur compagnon. Enfin, elles redoutent d'être mal jugées. Pendant des siècles, les femmes ont été élevées pour servir le plaisir de l'homme et répondre passivement à ses attentes. Forcément, il en reste quelques traces dans notre inconscient. Résultat : aujourd'hui encore, sexuellement, la majorité des femmes demeure très soumise. Prendre des initiatives exige du courage. Evidemment, prendre des initiatives exige du courage : "il faut faire preuve à la fois d'audace et d'autonomie, tout en renouant avec ses propres désirs. Car il ne s'agit pas de se mesurer à l'homme sur son propre terrain, celui de l'action, de la performance, de l'athlétisme sexuel", comme s'en amuse la thérapeute Margo Anand. Il n'est pas question ici de jouer les dominatrices façon Catwoman sur un toit brûlant. Non, la femme doit retrouver sa propre énergie sexuelle, tout en faisant montre de tact et de subtilité avec son partenaire pour l'aider à dépasser ses éventuels blocages… "Elle veut me dire ce que je dois faire, le rythme, la manière, le moment ! Et moi, là-dedans ?" s'est d'abord inquiété Serge Vidal-Graf, psychothérapeute, coauteur, avec Ajanta Vidal-Graf, de "Se parler au cœur du sexe" (Ed. Jouvence, 1998) qui a expérimenté ces nouvelles pratiques avec sa femme Ajanta. Le challenge qui se présentait à lui : oser être passif, alors qu'on lui avait appris que la virilité allait de pair avec l'action et la domination. Cinq clés pour renouer avec une énergie sexuelle féminine En quoi consiste cette énergie ? "C'est une approche plus sensuelle que sexuelle, une recherche de relation sexuelle plus que de plaisir sexuel", nuance Xavier Boquet. Elle englobe l'ensemble du corps et pas seulement les organes génitaux, privilégie le ressenti dans l'ici et maintenant plutôt que la recherche de l'orgasme, la réceptivité plutôt que l'action. Elle accorde également une place privilégiée aux fantasmes et à leur mise en scène, ajoute le psychologue Gonzague Masquelier.
Pour devenir une véritable initiatrice, voici quelques clés d'entrée. Le désir prime sur la pulsion. Une initiatrice commencera par apprendre à son partenaire la différence entre pulsion sexuelle et désir. Le matin, suggère Xavier Boquet, elle amorcera une relation sexuelle en se livrant seulement à des attouchements, avant de lui murmurer : "Garde ton désir et pense à moi toute la journée…"
Le soir venu, elle lui demandera de patienter quelques heures encore avant d'avoir des relations sexuelles. Un autre soir, elle le surprendra par une tenue différente de l'ordinaire ou le choix d'un autre lieu pour faire l'amour. Le coït détrôné. Pour que la pénétration ne soit plus le centre de la vie sexuelle, l'initiatrice aménagera des moments consacrés au flirt et au massage. L'occasion de montrer à l'homme d'autres caresses. Car lorsqu'il fait l'amour, ce dernier a tendance à toucher la femme de façon précise, sur ses zones érogènes, en quête d'efficacité immédiate. Or, chez une femme, c'est le corps tout entier qui fait l'amour. Elle le caressera donc sur ses zones les moins sensibles - visage, cheveux, cou, bras -, avec tout le corps, puis lui demandera d'en faire autant. Elle pourra aussi inventer des jeux érotiques : "Tu ne bouges pas et je te caresse : on va voir combien de temps du tiens…" Un acte sexuel plus long. Plus lente à s'émouvoir, la femme a besoin de davantage de temps pour trouver son plaisir. En conséquence, c'est elle qui proposera des pauses et ralentira le rythme des va-et-vient de l'homme qui, généralement, s'accélèrent avec l'excitation.
La position en amazone, dite d'Andromaque (la femme sur l'homme), est idéale pour contrôler le rythme. La femme pourra aussi utiliser la technique du squeezing (to squeeze : presser), qui a pour but d'aider l'homme à maîtriser son excitation : celui-ci l'ayant prévenue qu'il est sur le point d'éjaculer, elle se soulèvera rapidement pour dégager le pénis et pressera la couronne du gland pendant trois ou quatre secondes, ce qui retardera le processus.
A essayer également, le coït immobile.
L'homme ne bouge pas - de quelques minutes, pour commencer, jusqu'à atteindre une heure -, ce qui permet à la femme de sentir les agréables mouvements de contraction de son vagin autour du pénis. "Ces mouvements peuvent s'amplifier et mon bassin se met à bouger, très finement, très lentement. Je laisse faire mon corps", explique Ajanta Vidal-Graf. Dans les premiers temps, l'homme pourra ne rien sentir du tout et débander, voire s'endormir… Mais, avec l'expérience, il affinera son ressenti et apprendra à être réceptif.
Le coît immobile.
La femme pourra également initier l'homme à un autre type d'orgasme que celui qu'il connaît et qui est de nature explosive (relâchement extérieur). Elle l'incitera, par exemple, à respirer plus lentement afin de diffuser son énergie sexuelle dans tout son corps, ralentir son rythme cardiaque et mieux contrôler son excitation. Avec un peu d'entraînement, l'homme devrait ressentir un orgasme de nature plus implosive (expansion intérieure) et enrichir la gamme de ses sensations.
Les adeptes du taoïsme parviennent même à jouir intensément une ou plusieurs fois sans éjaculer. Bien sûr, cette petite révolution sensuelle ne se produira pas en une nuit… Mais si le couple intègre cette sexualité féminine, les deux partenaires y gagneront.
La femme permettra à sa part masculine, dynamique et active, de s'exprimer ; l'homme, en expérimentant le plaisir de recevoir, se réconciliera avec sa féminité. L'amour ressemblera à un jeu où alternent féminité et virilité, sensualité et sexualité, relaxation et excitation. Dans un troisième temps, le couple pourra réintégrer une sexualité plus active. Mais si, un soir, l'homme vient vers la femme avec une énergie très masculine et que la femme n'a pas envie de "ça", elle devra savoir dire non, afin d'accueillir la montée de sa propre énergie sexuelle. "Sinon, souligne Ajanta, l'habitude reprendra le dessus et la femme se laissera faire…"
LE TAO :
Un art d'aimer enseigné par les femmes.
Discipline philosophique de la Chine ancienne, le taoïsme place le rapport sexuel au centre de la vie. Et, grande originalité, ce sont les femmes qui souvent l'enseignent. Le taoïste considère en effet que l'énergie du " yin " (féminine) est supérieure à celle du " yang " (masculine). Les textes anciens font ainsi référence à la métaphore de l'eau et du feu. Bien que le feu, qui appartient au yang, soit prompt à s'embraser, il est vaincu par l'eau, la force du yin. Car si le yin est lent à s'émouvoir, il est aussi lent à être rassasié… TEMOIGNAGE : Nicolas, 28 ans : "Grâce à Caroline, j'ai expérimenté le va-et-vient masculin-féminin. Il y a un moment de notre dernière rencontre sexuelle que j'ai envie de raconter : lorsque Caroline s'est allongée contre mon dos, nous étions "en cuillère". Immobile d'abord, elle a commencé des petits mouvements du bassin, très agréables. Et je me suis souvenu de ce qu'elle m'avait dit : "Après une pause, quand je commence à bouger, c'est important que tu reçoives mon mouvement, que tu ne te mettes pas à bouger, en tout cas pas tout de suite." Je suis donc resté immobile. […] C'est ce moment-là qui lui a permis de recontacter son énergie sexuelle propre. […] Je trouve que cette soirée est une belle illustration du va-et-vient masculin-féminin dans la façon de faire l'amour. J'ai d'abord été vers Caroline avec une énergie sexuelle très agissante, très masculine. Et elle a dit : "Non." Et j'ai accepté ce non. J'ai accepté que se crée un vide fertile intermédiaire avant qu'elle ne revienne vers moi avec une énergie sexuelle plus féminine. Le passage d'un type d'énergie à l'autre me demande un effort, mais je m'en félicite. Je m'ouvre à des espaces plus lents, plus sensuels, auxquels je n'aurais pas accès si Caroline ne m'y guidait pas." Extrait de "Se parler au cœur du sexe", d'A. et S. Vidal-Graf (Ed. Jouvence).
COMPRENDRE :
Pourquoi les femmes sont-elles traditionnellement passives ?
La passivité des femmes n'est pas naturelle. C'est le produit d'un long conditionnement éducatif et religieux dans une société judéo-chrétienne de type patriarcal. Leur éducation, axée sur des qualités dites "féminines" (douceur, obéissance...), le mythe du prince charmant censé venir révéler à elles-mêmes des jeunes filles endormies, leur manque d'autonomie financière, tout les préparait à cultiver l'attentisme. En particulier dans le domaine sexuel, où la passivité féminine était érigée au rang de vertu, à travers le culte de la Vierge. Tandis que l'opprobre était jeté sur Eve, celle qui a osé aller au bout de ses désirs et porte la honte du péché originel. Une répression qui se poursuivait sur le terrain de l'intime, dans le face à face avec les hommes. Considérées comme objets plus que comme sujets, consacrées au plaisir exclusif de l'homme, elles n'étaient pas en position d'exprimer leurs propres attentes. D'autant que les femmes ont intégré très tôt cette peur que leur désir inspire aux hommes, parce qu'il les renvoie, dans leur imaginaire, à la toute-puissance maternelle et à l'angoisse de ne pas s'en détacher, de se féminiser. Difficulté supplémentaire, la sexualité masculine est clivée : amour d'un côté, jouissance de l'autre. Une façon de se protéger de l'inceste avec la mère, aboutissant à la fameuse opposition entre la maman et la putain qui imprègne l'inconscient collectif. Du coup, les femmes, pour être respectées, se sont coupées de leur sexualité propre, laissant le soin aux hommes de diriger l'acte sexuel.
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